
Introduction :
Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours été fasciné par les avions. Observer leurs trajectoires dans le ciel, imaginer le rugissement de leurs moteurs et la précision de leurs vols… c’était ma première passion. Plus tard, la radio est venue s’ajouter à ce monde de curiosité et de technique. Je ne savais pas alors que cette fascination trouverait un écho dans l’histoire de mon grand-père maternel, Henri Geager.

À l’occasion du dernier 11 novembre, alors que la France rendait hommage à ses soldats tombés dans la tourmente, j’ai évoqué sur ces pages, la mémoire de mon grand-père paternel et de son frère, tous deux entraînés dans la tragédie de la Première Guerre mondiale.
Dans cet article, j’explique que j’avais découvert, il y a seulement quelques années, que mon grand-père était téléphoniste, un rôle où l’on tend des fils entre les hommes pour que la parole survive aux obus. Une fonction qui, sans que je le sache alors, faisait déjà écho à ma propre passion pour la communication et la radio.
Aujourd’hui, c’est une autre page familiale que je souhaite évoquer : celle de mon grand-père maternel.
Pendant que les adultes s’enfonçaient dans l’horreur de 1914, lui n’était encore qu’un enfant. Trop jeune pour comprendre pleinement la violence du monde, mais assez grand pour voir, dans les yeux de son village, la peur, l’absence, le rationnement et les lettres aux bords noirs.Cette guerre là, il ne l’a pas combattue : il l’a vécue à hauteur d’enfant, avec ce mélange d’incompréhension et de gravité que seuls les tout-petits savent porter.
Plus tard, devenu homme, il suivra pourtant son propre parcours militaire. Et là encore, un lien inattendu se dessine : un rapport à la technique, aux transmissions, à ce monde invisible où circulent des signaux, des messages, des voix…
Comme si, d’un côté à l’autre de ma famille, un fil discret avait été tendu à travers les générations.
Alors je m’interroge encore :
Les passions naissent-elles du hasard, ou d’une mémoire silencieuse qui traverse le sang ?
Mystère. Et peut-être que ce mystère fait partie de l’héritage.
Voici maintenant son histoire.
L’enfance d’Henri
Henri était né le 5 février 1911 dans le 4ᵉ arrondissement de Paris.
Dès sa naissance, il fut confié à l’Assistance publique de la Seine et ne connut jamais ses parents biologiques. Souvent, ces enfants là, étaient placés dans des fermes, où ils devenaient hélas une main-d’œuvre corvéable, et surtout gratuite.
Mais Henri, lui, eut la chance de rencontrer de bonnes étoiles.

Il fut accueilli dans une famille de sabotiers à Bourbon-Lancy, en Saône-et-Loire. Ce furent pour lui des années d’enfance heureuse, où il fut considéré comme l’un des Fils légitimes du couple. C’étaient de braves gens, et Henri les considéra toujours comme ses véritables parents.
La jeunesse et la formation

À la fin de son adolescence, après ses études secondaires, il fallut faire un choix. Il prépara un CAP d’électricien : la fée Électricité commençait à peine à entrer dans les foyers, symbole éclatant de modernité.
Il obtint son diplôme, et à 17 ans, décida d’effectuer une préparation militaire.

Il l’accomplit à l’École militaire préparatoire de cavalerie d’Autun en mai 1928.
Il avait alors 17 ans. Il obtint le brevet de préparation militaire élémentaire le 6 juillet 1930 : 44ᵉ sur 107, avec 428 points.

Le militaire et l’aviation

Le 15 octobre 1930, il fut affecté au 37ᵉ régiment d’aviation, à une époque où l’Armée de l’air n’était pas encore créée.
Nommé soldat de 1ʳᵉ classe, il rejoignit le CHR de la 2ᵉ compagnie (la Compagnie Hors Rang, chargée de l’administration, de la logistique et du soutien du régiment).
Il fut alors détaché au poste radio de Rich, au Maroc.

Le 22 janvier 1931, il quitta le CHR pour rejoindre la 9ᵉ escadrille, avec laquelle il partit en opérations aériennes à Erfoud.
Il devint radio-navigateur sur bombardier et, lors des missions de reconnaissance, il était également chargé des prises de vue aériennes.








Le 1ᵉʳ octobre 1934, il fut rendu à la vie civile et versé dans la réserve. Il fondat une famille. Il devint épicier : d’abord gérant, puis propriétaire de son propre fonds de commerce.

Le 24 août 1939, il fut mobilisé et rejoignit la base aérienne de Bron (Rhône), pendant la « drôle de guerre ».
Durant cette période, il fut envoyé en opérations et rejoignit la base aérienne d’Istres, toujours comme navigateur, sur avions Marcel Bloch (futur Dassault).
Le 12 août 1940, il fut démobilisé, l’armistice ayant été signé le 22 juin avec l’ennemi allemand.


La vie civile
Il retrouva alors Bourg-en-Bresse, son foyer, ma grand-mère, et leurs deux filles : ma mère et ma tante, ainsi que son commerce d’épicier.

Après avoir vendu son épicerie, au début des années 1950 il rejoignit Le Creusot, où il acheta un café au lieu-dit Les Groisons.
Avec les années, le métier de cafetier devint trop prenant pour lui. Il décida alors de changer d’activité et termina sa vie professionnelle aux Aciéries Schneider, jusqu’à une retraite bien méritée.

Un moment précieux
Longtemps, je ne sus rien du parcours militaire de mon grand-père.
Et puis, quelques années avant son décès, au début des années 1980, alors qu’il me regardait installer une antenne d’émission-réception sur ma moto, il m’interrogea sur son utilité.
Puis, avec un sourire amusé, il me dit :
— « Tu sais, la radio, je connais bien. »
Interloqué, je lui répondis :
— « Ah bon ? »
Il ajouta :
— « Et les avions aussi, je connais ! »

C’était pour moi un écho incroyable. Depuis ma plus tendre enfance, j’étais fasciné par les avions. Les observer dans le ciel, imaginer leurs trajectoires, leurs moteurs rugissants… c’était ma première passion, celle qui m’accompagnait avant même que je sache ce qu’était une radio.
Sa maison partageait la même cour que celle de mes parents . Il me dit :
— « Laisse ton antenne là et viens boire une bière, je vais t’expliquer. »

Nous nous retrouvâmes tous deux assis sur les marches de sa véranda, une bière à la main, devant un album photo.
C’est ce jour-là qu’il me raconta son histoire : il avait été radio-navigateur dans l’aviation.
Le cadeau et l’héritage
Il me tendit alors sa main. Elle contenait deux insignes :
l’une portait le charognard — l’aigle — de l’aviation, posé sur le croissant de lune symbolisant le Levant, et l’étoile, celle qui guide pilotes et équipages.
Il me remit aussi une fourragère, en me disant :
— « Tiens, c’est pour toi. Prends-les. »

Mon grand-père nous quitta quelques années plus tard.
Je garde en mémoire ces instants précieux, et j’ai toujours conservé pieusement le magnifique cadeau qu’il m’a fait : ses insignes et sa fourragère.
Réflexion et transmission
Aujourd’hui, plus de quarante ans après, toujours passionné de radio et d’avions, un mystère demeure pour moi.
Et si certaines passions se transmettaient de génération en génération ?
Y aurait-il une raison génétique ?
Cela restera, je le crois, un grand mystère.

Un jour, visitant la chambre d’enfant d’Antoine de Saint-Exupéry à Saint-Maurice-de-Rémens, au château familial de l’écrivain pilote, je racontais cette histoire à l’une des personnes qui guidaient ma visite.
Elle me répondit avec douceur :
— « Vous savez… dans la vie, il n’y a jamais de hasard, seulement des rendez-vous. »

En aparté, je dois préciser que les membres de cette association, tout comme la municipalité, sont d’une gentillesse incomparable, dévoués et chaleureux. Mon épouse et moi avons eu le plaisir d’en devenir membres et soutiens : ils le méritent.
J’avais donc rendez-vous avec mes passions.
Et si c’était vrai ?
Nous devenons ce que nous sommes grâce à ceux que nous côtoyons, et aux épreuves qui traversent nos vies.
Mais peut-être existe-t-il aussi des transmissions invisibles et fortes…
Ne pouvant répondre de manière cartésienne à cette question, je vous laisse y réfléchir.
Qui sait ?
Vous découvrirez peut-être, vous aussi, des passions partagées avec vos aïeux.
En souvenir d’Henri Geager, mon Grand Père (1911 – 1983)
F0DMG Pascal
En savoir plus sur LVP71
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
