23/11/2024
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Il y a plusieurs semaines, j’ai partagé ici des récits de rencontres extraordinaires avec des personnes au passé glorieux, intimement lié à l’histoire de notre pays, celle de la Résistance. Hélas, une triste nouvelle est venue bouleverser mon épouse et moi. La dernière personne que je réservais pour le point d’orgue de cette série d’articles nous a quittés le 18 avril dernier.

Madame la Colonel, Nicole Challan Belval et notre petite famille à Bibracte

Cette disparition nous a profondément affectés. Depuis plus de trente ans, nous avions pour cette personne et son époux, décédé le 9 novembre 2011, une affection immense. Leur absence laisse un vide incommensurable dans nos vies. Ébranlé par cette perte, je n’ai pas eu le cœur de continuer mes récits comme prévu. J’ai donc décidé de rendre hommage à ce couple exceptionnel, Jean Challan Belval et son épouse Nicole, des êtres rares, que nous n’oublierons jamais.

Le Colonel Jean Challan Belval et notre petite famille à Bibracte

Il y a quelques décennies, mon épouse et moi, dans la trentaine, étions des spectateurs assidus du journal télévisé du regretté Jean-Pierre Pernaut. Ses reportages de grande qualité sur la lutte contre la désertification de nos campagnes nous ont inspirés. Ils nous ont donné l’envie de tenter l’expérience nous-mêmes. À la fin de chaque reportage, les coordonnées d’une association partenaire œuvrant pour revitaliser les petites communes apparaissaient à l’écran : le SICLER

Motivés par cette initiative, nous avons contacté cette association et soumis notre dossier de candidature. C’est ainsi que notre aventure a commencé, guidée par le désir de contribuer à la renaissance de nos campagnes et à une vie moins trépidante.

Quelques jours plus tard, nous avons reçu un appel d’une personne en charge de notre dossier de candidature, qui souhaitait échanger par téléphone pour faire le point sur nos profils. Cet homme, à l’autre bout de la ligne, nous a immédiatement mis en confiance. À ce moment-là, je ne pouvais pas imaginer qui il était vraiment.

Nous attendions chaque appel de notre interlocuteur avec plaisir, car au fil du temps, des liens s’étaient créés. À cette époque, nous résidions dans le département de l’Isère, proche du Vercors, terre de héros de la Résistance, qui avaient nourri mes lectures de jeunesse.

Un jour, lors d’un nouvel appel, notre interlocuteur nous dit : « Mon épouse et moi allons passer non loin de chez vous pour nous rendre à une commémoration d’événements survenus pendant la dernière guerre, dans le département de la Drôme, en mars 1944. Nous souhaiterions faire votre connaissance à cette occasion. Pourrions nous nous arrêter chez vous ? » Enthousiastes, nous avons répondu par un grand oui à cette proposition.

Sources: https://museedelaresistanceenligne.org/media503-Monument-lev-la-mmoire-des-fusills-sur-la-commune-de-Condorcet

Je ne pouvais m’empêcher de me questionner sur cette commémoration liée à la Seconde Guerre mondiale. Ma curiosité était piquée, mais je n’osais pas poser plus de questions, malgré l’envie qui me taraudait.

Un peu fébriles mais heureux, nous avons accueilli, le jour prévu, M. Jean Challan Belval et sa charmante épouse Nicole. Après de nombreuses communications téléphoniques, notre perception de notre interlocuteur s’est révélée juste. Nous avions bien ressenti que nos hôtes étaient des personnes de grande qualité, mais ce qui nous a particulièrement touchés, c’étaient leur simplicité et leur gentillesse. Il y avait en eux une lumière, quelque chose qui rayonnait, bien que je ne trouve pas les mots justes pour décrire cela.

Vous connaissez l’adage : « Chassez le naturel, il revient au galop. » Ne pouvant retenir ma curiosité sur le sujet de la commémoration qui nous avait permis d’accueillir Jean et Nicole, j’ai fini par poser la question. M. Challan Belval a répondu avec gentillesse : « Nous nous rendons à la commémoration d’un événement tragique qui a eu lieu à Saint-Pons, un village de la Drôme pendant la dernière guerre. » Puis il ajouta : « Mais l’important, c’est vous, Pascal et Denise. » Je n’ai alors pas osé pousser plus loin mes questions.

Mme Challan Belval nous a alors expliqué qu’en plus de l’engagement bénévole de son époux auprès du SICLER, ils allaient tous deux dans les hôpitaux pour accompagner et soutenir les personnes en fin de vie. Quelle grandeur d’âme ! Nous étions admiratifs de leur dévouement.

Jean a continué à nous appeler régulièrement. Un soir, je regardais l’émission « Striptease », programmée tard en soirée. Cette émission se concentrait sur notre époque à travers la vie des gens. Ce soir-là, le sujet était une famille de tradition militaire. À un moment donné, on découvre un vieux monsieur tenant la main d’un petit garçon. Le commentaire explique que le vieux monsieur était un ancien militaire de carrière, et que le petit garçon, son petit-fils, avait un papa officier de marine en mission de casque bleu dans les Balkans à ce moment-là. La caméra se déplace vers la sépulture, et mon cœur se met à battre quand je vois apparaître gravé sur la pierre, le nom de Challan Belval. Imaginez les questions qui me sont venues à l’esprit, notamment le lien entre Jean et les personnages de ce reportage.

Je n’ai pas eu à attendre longtemps pour en savoir un peu plus, juste un peu ! Le lendemain, vers 11h, le téléphone sonna. C’était Jean : « Bonjour, comment va, Denise et vous ? » « Très bien, merci beaucoup », répondis je, puis j’ajoutais : « J’ai une question à vous poser. » « Ah oui, je vois laquelle, Pascal. Vous avez regardé une émission qui porte bien mal son nom », je lui répondis affirmativement, mais je n’ai pas eu le temps d’aller plus loin. Il continua : « Bon, le vieux monsieur, c’est mon frère Pierre avec son petit-fils, et la tombe, c’est celle de notre père. Mais cela n’est pas très important, car l’important, c’est vous et Denise ! Il y a assez de documents qui parlent de moi. »

Quelque temps plus tard, en visite dans le Vercors, je parlais de Jean à Monsieur La Picirella, ancien résistant et gardien de la mémoire de la Résistance du Vercors. Je lui ai dit que Monsieur Challan Belval était très discret sur son passé. Monsieur La Picirella m’a répondu : « Ah oui, vous connaissez un des trois frères Challan Belval ! Mais c’est normal qu’ils ne vous disent rien, car ces personnes ont le silence des héros. » Voilà, je ne savais toujours rien de plus.

Plus tard, nous nous sommes installés dans la campagne charolaise, à la suite de l’aboutissement de nos démarches auprès du SICLER. Nous avons continué nos échanges téléphoniques et nos correspondances avec Jean et Nicole. Un jour, lors d’un nouvel appel de Jean, j’ai remarqué beaucoup de bruit autour de lui et lui ai fait remarquer. Il m’a répondu : « Oui, je suis à la mairie de Paris, Jacques Chirac m’a invité pour la réception de l’Empereur du Japon. » À cette époque, les téléphones portables n’existaient pas. Je lui ai fait remarquer que j’étais troublé qu’en un tel moment, en pleine cérémonie d’accueil d’un empereur, il ait demandé un téléphone en ces lieux et pris le temps de nous appeler ! Sa réponse fut la formule que vous devez connaître en me lisant : « L’important ce n’est pas l’Empereur du Japon, mais c’est vous ! » J’en suis resté ébahi.

Il continua en demandant : « Les subventions que votre député devaient vous obtenir, où en êtes-vous ? » « Eh bien, cela n’avance pas ! », lui ai-je répondu. Il me dit alors : « Pascal, rappelez à votre député que ce n’est pas vous qui êtes à son service, mais c’est lui qui est à votre service, à notre service. Ce sont nous, les citoyens, qui sommes ses employeurs, il faut lui rappeler ! »

Plusieurs années plus tard, lors d’une réunion, j’ai utilisé les propos de Jean en direction d’Arnaud Montebourg. Je ne pense pas qu’il les ait appréciés (rire). Finalement, Jean avait raison, c’est fondamental même : être élu, c’est être au service de la population et non l’inverse, comme le pensent trop souvent certains politiciens.

Plus tard, j’ai pris un poste au Centre de recherche Archéologique Européen du Mont Beuvray, dans le Haut Morvan, et une fois de plus, nous avons eu le plaisir d’accueillir Jean et Nicole à la maison. Ce furent de merveilleux moments de partage d’affection réciproque. Madame Challan Belval, lors d’une de nos dernières communications en ce début d’année 2024, nous avait dit combien ils avaient apprécié la visite du musée archéologique de Bibracte, un moment dont elle et Jean gardaient un très beau souvenir. Nous en avons été profondément touchés.

Jean a quitté ce monde le 8 novembre 2011. Madame Challan Belval nous avait dit que leurs enfants avaient demandé à Jean d’écrire ses mémoires pour ses petits-enfants. Elle avait ajouté qu’il avait commencé, mais très vite abandonné, sa modestie reprenant le dessus. En janvier dernier, en bavardant avec Nicole au téléphone, je lui racontais que j’avais porté l’uniforme de Dragon. Elle m’apprit que justement Jean avait été colonel

commandant un régiment de Dragons ! Je lui parlais de ma passion pour Antoine de Saint-Exupéry, et elle m’apprit que sa mère était très amie avec l’une des sœurs d’Antoine ! J’en fus impressionné, je l’avoue.

Nous avons eu la triste nouvelle de la mort de Madame Challan Belval le 20 avril 2024. Nous avions prévu de l’appeler durant cette période, mais hélas, le destin en a décidé autrement. C’est leur exemple qui a fait que Denise et moi nous sommes engagés au service des précaires pendant plus de 15 années. C’étaient de belles, très belles personnes ! J’avais expliqué à Madame Challan Belval notre engagement durant ces nombreuses années avant notre retraite. Elle nous avait répondu : « Si vous avez besoin d’aide pour des personnes en difficulté pour des problèmes de règlement de leurs factures d’électricité ou de gaz, dites-le-moi, car mon fils Olivier est le médiateur national de l’énergie, je pourrais lui en parler. » Jusqu’au bout, ils auront été à l’écoute des autres.

Comme Jean, Nicole était une personne humble et modeste. Nous avons découvert après son décès qu’elle aussi était issue d’une famille de militaires au service de notre nation. Elle était la fille du général trois étoiles Gillis et la sœur du général Bernard Gillis, décédé en 2009. Il commandait des chasseurs en Allemagne à l’époque où j’étais au 3e RD des FFA, à Stetten en Allemagne.

Je ne pouvais qu’utiliser mon site pour rédiger un hommage à ce couple, mais je ne savais toujours presque rien sur le passé de résistant de Jean. J’ai donc entrepris des recherches. J’ai contacté de nombreux musées, de nombreuses associations, des historiens, et consulté les documents sur le site de l’Armée Française « Chemins de mémoire », sans grands résultats ! Mais la chance me sourit en la personne de Madame Martine Berthe, présidente du Souvenir Français à Nyons, dans le département de la Drôme. Je profite de mes écrits pour la remercier pour son aide dans mes recherches et lui dire combien je lui en suis très reconnaissant.

Je vais vous résumer ce que j’ai appris sur la glorieuse épopée des trois frères Challan Belval dans la Résistance (Pierre, Jean et Jacques) et en particulier sur le parcours de Jean.

Le Lieutenant Perre Challan Belval (à droite)
Marcel Descours alias Bayard

Pierre était l’aîné des trois frères et est au centre de cette aventure héroïque. Saint-Cyrien, il était un jeune sous-lieutenant des Spahis en Algérie lorsque l’Allemagne déclara la guerre à la France en 1940. Sa mission était la surveillance des frontières avec les hommes qui étaient sous ses ordres, ce qui lui donnait une grande expérience du commandement. À Batna, il retrouva un autre jeune officier, le lieutenant Guigou, dont il avait fait la connaissance lors de sa formation à l’école de cavalerie de Saumur. Avant de se retrouver en Algérie, l’un menait des patrouilles à la frontière algérienne et l’autre, le lieutenant Guigou, participait à la campagne de France en 1940. Officiers attachés à la France, n’acceptant pas la défaite et la capitulation, ces deux-là ne pouvaient que se retrouver dans la Résistance. C’est ainsi que le lieutenant Roger Guigou, après la démobilisation, présenta à Pierre Challan Belval le colonel Descour (Bayard) qui œuvrait dans l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA), à la création et à l’installation de maquis en Rhône-Alpes. C’est ainsi que Pierre Challan Belval se vit confier la création et le commandement de trois maquis dans le secteur drômois du Vercors (les Darus).

Réunion des ancien du Maquis Les Darus, prise de parle du chef Pierre, le Colonel Challan Belval.

Mais Jean dans toute cette histoire ? Jean et Jacques, les deux jeunes frères du lieutenant Pierre Challan Belval, avaient comme leur aîné, intégré les rangs de l’école militaire de Saint-Cyr. Quand arriva la capitulation de la France, l’école de Saint-Cyr fut repliée en zone libre à Aix-en-Provence. C’est à ce moment que les deux frères Challan Belval rejoignirent, en compagnie d’un de leurs camarades, les maquis de la Drôme, placés sous le commandement de leur frère Pierre. Ils ont été, avec leurs camarades, des héros de la libération de la France. Ils ont connu des moments tragiques comme lors de l’affaire de Saint-Pons, où les Allemands ont assassiné résistants et civils.

Je n’irai pas plus loin dans le récit de cette épopée glorieuse des frères Challan Belval, mon sujet étant de rendre hommage à Jean et Nicole. J’ai pu découvrir ce que Jean, par modestie, n’a jamais voulu me dire, grâce à l’aide de Madame Martine Berthe, présidente du Souvenir Français drômois. Qu’elle en soit à nouveau remerciée. J’avoue que je suis très admiratif du travail qu’elle fait pour que la mémoire de ceux qui nous ont permis, encore aujourd’hui, de vivre libres, soit préservée.

Les sources de mes découvertes furent pour les plus importantes contenues dans un livre : « L’histoire des maquis Pierre (Challan Belval), cinq cents jours de clandestinité dans la Drôme », formidable travail d’historien réalisé par Monsieur Thierry Chalazon.

A gauche Jean Challan Belval, à sa droite l’agent de liaison Marc Corlu maquis de la Bessonne
La photographie est prise à la Baume Cornillanne. Celui qui tient la carte est l’agent de liaison Marc Corlu avec les 3 frères Challan-Belval (Jacques, Jean et Pierre).

Après la capitulation de l’Allemagne, Jean a repris ses études militaires à l’école de Saint-Cyr. Il a eu une brillante carrière militaire en tant que colonel. À l’âge de la retraite, ils se sont mis au service des autres, jusqu’à la fin de leur vie.

Pierre, Jean et Jacques ont tous trois reçu la Légion d’honneur.

Mon épouse et moi sommes conscients que ce fut un immense cadeau de la vie de rencontrer M. et Mme Challan Belval. Nicole nous disait toute l’affection que Jean et elle nous portaient, une affection réciproque pour nous. « Affection » est un mot plus fort et plus approprié qu’amitié.

Nous ne les oublierons jamais. Ils ont été notre étoile guide dans le ciel de notre vie. Une pensée pour les enfants et petits-enfants de Jean et de Nicole, qui peuvent être fiers.

Modestes, discrets, dévoués, et attachés à leurs engagements humanistes, ce sont les mots qui résument les personnes qu’ils étaient.

Au nom de notre éternelle affection, Pascal et Denise.

Ci-dessous un courrier de Jean au retour de Bibracte.

l’histoire des maquis Pierre

De Tierry Chazalon

Chant du maquis de la Lance : Jeune Sève.  

Nous sommes la Jeune Sève
De l’Antique Liberté
Pour saboter la Relève,
Nous avons fui la cité.

Pour libérer la France,
Nous luttons et souffrons
Sur les sommets de la LANCE
Où se forment nos bataillons.

Soutenus par nos frères,
Travailleurs et Paysans
Nous préparons la LUMIÈRE
Et le grand soulèvement.

Avec le coq des campagnes
Nous chanterons le Réveil
Derrière notre Montagne
VA SE LEVER LE SOLEIL

Les époques sont prochaines
Qui nous verrons victorieux
Nous descendrons dans la Plaine
COMME UN TORRENT FURIEUX !

Quand sonnera la victoire
Nous marcherons en avant
NOUS PLANTERONS DANS L’HISTOIRE
LE DRAPEAU DES PARTISANS.

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colonel Jean CHALLAN BELVAL

DÉCÈSAnnonce parue le 9 novembre 2011 dans le Carnet du jour – Le Figaro


colonel Jean CHALLAN BELVAL Mme Jean Challan Belval, son épouse,
le capitaine de frégate et Mme Arnaud Challan Belval, M. Olivier Challan Belval, M. et Mme Hughes Challan Belval, ses enfants,
ses petits-enfants et arrière-petits-enfants
ont la tristesse de faire part du rappel à Dieu du

colonel Jean CHALLAN BELVAL chevalier de la Légion d’honneur, Saint-Cyr, promotion Veille au Drapeau,

endormi dans la Paix du Seigneur, le mardi 8 novembre 2011.
La cérémonie religieuse sera célébrée en l’église des Islettes (Meuse), le jeudi 10 novembre, à 14 h 30.
Une messe sera célébrée ultérieurement à Paris
1, avenue Pierre-Grenier, 92100 Boulogne-Billancourt.

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Nicole CHALLAN BELVAL

DÉCÈS Annonce parue le 20 avril 2024 dans le Carnet du jour – Le Figaro

Avis de décès

En union avec son époux, le colonel Jean Challan Belval (†),
M. et Mme Arnaud Challan Belval, M. Olivier Challan Belval M. et Mme Hughes Challan Belval, ses enfants,
ses petits-enfants et arrière-petits-enfants
ont la tristesse de faire part du rappel à Dieu de
Nicole CHALLAN BELVAL née Gillis,
endormie dans la Paix du Seigneur le jeudi 18 avril 2024.
La cérémonie religieuse sera célébrée en l’église des Islettes (Meuse), le lundi 22 avril, à 14 h 30.
jeanchallan@wanadoo.fr

Avis paru le 20 avril 2024, Meuse (55)



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1 thought on “Hommages à Jean et Nicole Challan-Belval et au Maquis des Darus.

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