Hommage à Camille Dufour
Aujourd’hui, alors que j’apprends la disparition de Camille Dufour, ancien Maire du Creusot, mes souvenirs se bousculent. Pour moi, ce n’est pas seulement l’ancien maire qui s’en est allé, c’est aussi une grande part de mon enfance et de ma jeunesse qui s’efface.

Mes parents étaient voisins de Camille et Marthe Dufour ; nos jardins se touchaient. Comme mon père, Camille travaillait aux usines Schneider. Il était tourneur, je crois, même si sa première formation était celle de coiffeur. Marthe, quant à elle, faisait le catéchisme pour les enfants du quartier, c’était à la fin des années 1960.

Chaque jeudi matin, je traversais le jardin de mes parents pour rejoindre leur maison et y retrouver les copains et copines du voisinage. C’était une belle époque, celle de l’insouciance et de l’enfance. Les choses de la religion ne m’intéressaient guère – ce n’est toujours pas le cas – mais j’aimais ces rendez-vous du jeudi. Au-delà de la joyeuse bande que nous étions, Madame Dufour était d’une gentillesse et d’une patience inébranlables. Nous l’adorions tous.

Une anecdote me revient. La veille des vacances, Marthe nous avait demandé de réaliser un collage représentant l’Arche de Noé avec des allumettes collées dans nos cahiers de catéchisme. Nous nous étions tous appliqués à ce petit travail d’art enfantin.
À la reprise, elle nous demanda de sortir nos cahiers. Et là… aucune réaction de ma part. Elle se tourna vers moi :
« Pascal, tu peux sortir ton cahier ? »
Confus, je répondis : « Madame… j’ai eu un problème. »
« Qu’est-il t’arrivé ? » demanda-t-elle avec sa douceur habituelle.
« Avant les vacances, vous nous avez fait coller des allumettes… »
« Oui ? »
« Eh bien… mon cahier a pris feu. »
Elle aurait pu se fâcher, mais non :
« Ce n’est pas grave, nous allons en refaire un. »
J’avouai finalement que mon cahier n’avait pas brûlé du tout. Elle sourit simplement :
« Eh bien, sors-le comme tes camarades. »
Ma petite blague enfantine m’était revenue en pleine figure : sa gentillesse avait désamorcé tout effet escompté.
Enfant rêveur et passionné d’aviation, je remplissais mes pages de dessins d’avions et de nuages alors que nous étudiions le carême. Madame Dufour l’avait remarqué, mais ne m’avait jamais réprimandé.
Un jour, elle me demanda de rester un peu après la séance de cathé. « Mon mari va bientôt rentrer, il voudrait te voir », me dit-elle. À dix ans, j’avoue que cela m’avait inquiété…
Quelques minutes plus tard, le bruit de la mobylette de Camille résonna.
« Bonjour Monsieur. » — « Bonjour Pascal. »
Il posa son chapeau, son pardessus, puis dit :
« Attends-moi, je monte au grenier. »

Quand il revint, il tenait un trésor : un aérodrome en tôle, avec un avion monté sur une tige que l’on faisait monter grâce à un mécanisme à ressort. Il me dit simplement :
« Voilà, c’est pour toi. Maintenant, tu es pilote. C’est ton rêve, je crois ? »

Ce cadeau, qui devait appartenir autrefois à leur fils, fut un émerveillement absolu. Mille étoiles brillaient dans mes yeux d’enfant.
Je ne l’ai jamais oublié.

Les années ont passé. Après mes études techniques et mon service militaire, j’ai rejoint moi aussi l’usine. Puis survint la grande crise de Creusot-Loire, avec tout son lot de difficultés pour les ouvriers du Creusot. Camille était alors devenu maire, et l’ancien syndicaliste humaniste n’a pas ménagé sa peine pour tenter de sauver le tissu industriel et social de notre ville. J’aimais sa simplicité, son écoute, son humilité alliée à une vraie efficacité.

Je dois dire que l’ego de certains maires qui lui ont succédé, parfois empreints d’une forme d’autoritarisme et ne supportant pas la contradiction, n’ont rien à voir avec l’homme qu’était Camille Dufour, toujours à l’écoute.
Quand je suis revenu après vingt ans…
Après pratiquement vingt ans d’absence, lorsque je suis revenu au Creusot, les toutes premières personnes que mon épouse et moi sommes allés visiter furent Camille et Marthe Dufour.
C’était naturel, évident. Ils avaient compté dans ma vie, et le temps n’avait rien effacé.

Marthe et Camille avaient traversé les épreuves de la Seconde Guerre mondiale, les bombardements, les centaines de Creusotins disparus, etc… Pourtant, jamais ils n’ont perdu leur foi en l’humain.
J’ai beaucoup de respect et de tendresse pour Camille et Marthe Dufour. Quand j’y repense, ce n’est pas au maire que je pense, mais à ceux qui ont porté mes rêves d’enfant.

Comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry, dans Terre des hommes (1939) :
« On est de son enfance comme on est d’un pays. » —
F0DMG Pascal.

Crédit photo: le JSl / Pascal F0DMG
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